Entretien de l’Ambassadrice dans le quotidien Avaz (16 octobre 2015) [bs]

Mme Claire Bodonyi s’est exprimée sur la situation actuelle des réformes en Bosnie-Herzégovine, et sur les perspectives de rapprochement avec l’Union européenne.

La version intégrale de l’entretien a été publiée en ligne : lien vers le site de Dnevni Avaz

Traduction française de l’entretien :

"Les débats de politique intérieure regardent la Bosnie-Herzégovine. Toute solution qui permettra la mise en œuvre efficace, et je tiens à cet adjectif, des critères en vue d’une candidature à l’UE bénéficie de notre soutien". C’est ce qu’a souligné dans son interview à Dnevni avaz, Mme Claire Bodonyi, ambassadrice de France, qui dit avoir une seule exigence, partagée selon elle par les Bosniens : se concentrer sur le développement du pays. "C’est pour cela que nous comptons sur l’ensemble des partis pour tenir les engagements pris il y a 8 mois en faveur des réformes", a dit Mme Bodonyi.

Comment commentez-vous la situation sur la scène politique en Bosnie-Herzégovine ? Certains processus de réformes sont lancés, êtes-vous encouragée par un tel développement de la situation ?

Il y a eu en effet des signes encourageants ces derniers mois. C’est particulièrement le cas en Fédération, à l’initiative de son Premier ministre. Plusieurs lois ont été adoptées, il faut à présent qu’elles soient mises en œuvre. L’Agenda de réforme offre les solutions pour améliorer l’environnement économique et l’efficacité de l’administration. Mais pour que la Bosnie-Herzégovine puisse progresser, la classe politique dans son ensemble, qui a signé l’agenda des réformes, doit se concentrer sur sa mise en œuvre, sans créer des sujets parasites ou se laisser distraire par eux.

La Bosnie-Herzégovine est-elle proche, ou encore loin d’une adhésion à l’UE ? Quelles sont vos attentes vis-à-vis des autorités bosniennes, s’agissant de l’intégration européenne ?

Avant de se projeter sur une adhésion à l’UE, il faut se concentrer sur les nombreuses réformes qui sont nécessaires. Adopter un agenda, c’est bien. Mais mettre en œuvre concrètement les réformes qu’il contient, c’est ça le plus important ! Les 14 principaux partis du pays se sont engagés sur ce programme, il y a déjà 8 mois. A présent, il faut des résultats concrets plus nombreux.

Les conditions d’un dépôt d’une candidature n’ont pas changé, n’ont pas été alourdies. C’est d’abord l’Agenda de réforme : il est en cours mais loin d’être achevé. C’est ensuite l’adaptation de l’accord de stabilisation et d’association : il est entré en vigueur mais implique à présent de nombreux travaux liés à cette adaptation. C’est enfin l’établissement d’un mécanisme de coordination : j’entends ici ou là qu’il existe, mais il faudrait avoir des assurances qu’il est bien le fruit d’un accord et pourra être mis en œuvre. Voilà le processus. Les attentes de l’Union européenne sont liées à la réalisation de ces critères.

Etant donné que vous êtes souvent sur le terrain, avec les citoyens, quels sont vos impressions de la vie des gens, de la situation économique de la Bosnie-Herzégovine ? Où voyez-vous les plus grands problèmes ?

Sur le terrain, les citoyens de Bosnie-Herzégovine me disent qu’ils aspirent à une meilleure vie dans leur pays. Ce n’est pas hors de portée, car la Bosnie-Herzégovine a beaucoup d’atouts en termes de développement économique. Malheureusement, beaucoup de gens, notamment des jeunes, me disent qu’ils souhaitent quitter la Bosnie-Herzégovine. Ils ne se retrouvent pas dans les querelles partisanes, qui mobilisent trop souvent la classe politique, sans améliorer la vie des gens. La classe politique a pour rôle d’améliorer la vie de ses concitoyens, et non de la compliquer.

D’un point de vue économique, le plus grand obstacle au développement me semble être le manque de stratégies concertées sur des secteurs majeurs pour l’avenir du pays. Sur le tourisme, l’énergie, l’agriculture, qui sont les domaines-clés de potentiel en Bosnie-Herzégovine, il y a beaucoup d’initiatives très intéressantes sur le terrain, liées au dynamisme local. Mais il manque une vision d’ensemble qui permette de conjuguer les énergies. Cette concertation doit se faire entre tous les interlocuteurs compétents. Dans chaque secteur, ces interlocuteurs doivent s’organiser autour d’un document unique et partagé. La Bosnie-Herzégovine en a besoin pour réaliser son développement économique.

Ces derniers temps l’annonce du referendum en RS sur la Cour et le Parquet de Bosnie-Herzégovine suscite beaucoup d’attention. Quelles conséquences peuvent découler des résultats du référendum ?

Les conclusions du Conseil de l’Union européenne du 12 octobre, adoptées par les 28 ministres, sont claires : un tel référendum mettrait en jeu la cohésion, la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine. Il serait néfaste aux efforts mis en œuvre pour améliorer la situation des citoyens du pays, et pour progresser vers l’intégration européenne.

Bien sûr, nous sommes tous conscients qu’il y a des améliorations à apporter au système de justice en Bosnie-Herzégovine, à tous les niveaux. Le dialogue structuré sur la justice avait été initié pour cela. Mais les différents participants bosniens n’avaient pas jugé utile de poursuivre leurs travaux. Le sujet se pose donc toujours. A présent, il faut donc continuer à travailler à une réforme de la justice, dans un esprit de compromis. Le compromis, c’est la règle de base de fonctionnement entre les Etats membre de l’Union européenne. Ce n’est pas perdre que de trouver un compromis. C’est démontrer son intelligence. C’est cet esprit qui doit présider aux travaux. Il y a des exigences qui ne seront pas satisfaites car elles ne correspondent pas à une amélioration de la situation mais à son aggravation.

Nous avons eu l’occasion de voir que la Commission européenne avait une nouvelle approche pour la réforme de la justice. Etant donné l’importance de l’État de droit, qu’attendez-vous de ces réformes ? Qu’est-ce que la Bosnie-Herzégovine doit immédiatement changer dans sa justice ?

La justice, c’est avant tout un ensemble de valeurs, qui sont au cœur du projet européen : l’indépendance, l’efficacité, la formation des personnels… Aujourd’hui, l’Agenda de réforme vise aussi à promouvoir ces valeurs, à travers le renforcement de l’Etat de droit. Le Dialogue structuré sur la justice, relancé le 10 septembre, y participe. Ce dialogue réunit tous les ministres de la justice de Bosnie-Herzégovine, et nous voulons y faire régner un véritable esprit de compromis.

Les discussions sur l’Etat de droit auront également lieu dans l’adaptation de l’accord de stabilisation et d’association : la lutte contre la corruption et l’amélioration de l’efficacité du service public y ont toute leur place.

Ce qui est inadmissible, c’est de prétendre que la communauté internationale prend parti contre un peuple de Bosnie-Herzégovine. C’est une contre vérité. La démagogie, d’où qu’elle vienne, est attirante mais elle reste un mirage. Qu’est-ce qui est important pour les habitants de la Bosnie-Herzégovine ? La qualité d’une justice à tous les niveaux. C’est sur ce sujet qu’il faut travailler, dans un esprit de conciliation et d’efficacité.
C’est sur un programme politique d’amélioration de leurs conditions de vie que les Bosniens ont élu leurs dirigeants. C’est sur cela que ces mêmes dirigeants sont redevables.

Quelle est votre opinion sur la crise des réfugiés, et sur cette vague de migrants qui prend le chemin vers l’Europe occidentale ? Comment cela se terminera-t-il ? Nous voyons qu’il n’y a pas de position commune au sein de l’UE face à ce problème.

La crise migratoire est la plus importante en Europe depuis la deuxième guerre mondiale. Face à ce défi, l’UE prend ses responsabilités. Elle est prête à accueillir plus de réfugiés. Mais avec des règles et des conditions, qui protègent les personnes qui ont véritablement besoin d’un asile. Des décisions ont déjà été adoptées. Le 22 septembre, les Etats-membres ont créé un premier mécanisme d’accueil, qui s’imposera à tous.

En parallèle, des mesures sont mises en place pour lutter contre l’immigration clandestine, et contre les trafiquants qui profitent de la détresse des migrants. Ce dernier point est d’une importance cruciale.

De son côté, la France agit en solidarité avec les réfugiés. Elle est prête à donner asile à 24000 personnes supplémentaires, en plus des 60000 réfugiés accueillis chaque année. Elle mobilisera 280 millions d’euros pour l’accueil et l’hébergement d’urgence de ces réfugiés.

Dernière modification : 02/11/2015

Haut de page